Les Amis d’Algérie :Â Aujourd’hui nous allons parler de justice et des révoltes arabes avec Olivier Lecour Grandmaison. Il a mis en lumière la nécessité d’une clarification historique, judiciaire et politique des relations de la France avec l’Algérie.
Olivier Lecour Grandmaison
Merci pour l’invitation car elle intervient au bon moment. Ce dont je vais parler n’est pas vraiment poétique. Je vais parler de la réhabilitation sans précédent du passé colonial français, engagé par l’ancienne majorité et qui a débouché sur la loi du 23 février 2005. Cette loi sanctionne l’interprétation officielle ou apologétique du passé colonial français en général, puis plus particulièrement en Algérie. Cette loi a ensuite été suivie par la grâce de Nicolas Sarkozy lors du discours de Toulon, en tant que candidat et ministre de l’intérieur. Il n’y avait pas besoin d’être un bon connaisseur de la carte électorale française pour justifier ce lieu. Il s’agissait effectivement de chercher les électeurs du Front National un par un, tout en cherchant des gages dans le passé colonial français. Je ne vais citer que des petites parties de ce discours. Ce discours a été rédigé par Henri Guénot. Un autre discours de ses discours scandaleux et obscènes a aussi été celui de Dakar.
Voici un extrait du discours de Toulon en février 2007 : "Faire une politique de civilisation comme le voulaient les philosophes des Lumières, comme essayaient de le faire les Républicains du temps de Jules Ferry. Faire une politique de civilisation pour répondre à la crise d’identité, à la crise morale, au désarroi face à la mondialisation.
Faire une politique de civilisation, voilà à quoi nous incite la Méditerranée où tout fut toujours grand, les passions aussi bien que les crimes, où rien ne fut jamais médiocre."
Un autre extrait Guénot-Sarkozy est celui-ci : "Le rêve européen a besoin du rêve méditerranéen. Il s’est rétréci quand s’est brisé le rêve qui jeta jadis les chevaliers de toute l’Europe sur les routes de l’Orient, le rêve qui attira vers le sud tant d’empereurs du Saint Empire et tant de rois de France, le rêve qui fut le rêve de Bonaparte en Égypte, de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc. » Il conclue par le cœur de son propos, une rhétorique très convenue, impériale et républicaine : "Ce rêve qui ne fut pas tant un rêve de conquête qu’un rêve de civilisation."
Cette réhabilitation du passé colonial français s’est poursuivie par ou plutôt à cause de l’inauguration le 19 Octobre 2010, un an jour pour jour, dans les Invalides à Paris, d’une fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie. Eu égard à ceux qui ont porté cette inauguration, cette réhabilitation s’est poursuivie par l’institutionnalisation d’une fondation ayant pour objectif la réhabilitation du passé colonial français. L’une des caractéristiques de cette fondation, contrairement à ce que disaient certains députés, qui parlaient d’objectifs éducatifs, c’est à l’époque d’être présidée par l’ancien PDG d’AXA, Claude Bébéard, un spécialiste de la question coloniale française. Aussi trois des officiers supérieurs, membres de son comité d’administration ont certes participé à la guerre d’Algérie. Mais ils ont aussi signé un manifeste rendu public en Mars 2002, celui des 521, faisant écho à celui des 121, celui des intellectuels et artistes algériens contre la guerre d’Algérie. Ce manifeste comprend cet extrait négationniste : "Nous tenons à affirmer que ce qui a caractérisé la l’action de l’armée française en Algérie, ce fut d’abord sa lutte contre toutes les formes de tortures, d’assassinats, de crimes idéologiquement voulus ou méthodologiquement organisés." Ce manifeste se termine par cette phrase : "C’est cela la vérité et non le contraire." Cette fondation a été mise en place le 19 Octobre 2010 parce que, très certainement, ses inspirateurs vont sans doute intervenir lors de l’élection présidentielle où l’on va fêter le 50ème anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie. Les enjeux électoraux semblent évidents.
Pour poursuivre, a été commémoré récemment le 50ème anniversaire des massacres d’Octobre 1961, qualifié de raciste, lors de la manifestation du FLN. Il s’agissait du zèle de Maurice Papon, connu par beaucoup, qui consistait à interdire aux musulmans d’Algérie de circuler dans les rues de Paris, comme le faisaient les colonies françaises, de 1875 à 1945, avec le Code de l’indigénat. Le citoyen colonisé y était en fait un sujet, sans droit de vote, sans possibilité d’agir, de se réunir. Ce code de l’indigénat est donc repris lors de la guerre d’Algérie, par Papon notamment.
Les exécutions sommaires ont été aussi reprises lors de ce massacre, inspirée de la guerre contre-révolutionnaire. Maurice Papon a signé une note causant plus d’une centaine de morts. Cette note du 5 Octobre 1961, adressée à la police municipale de Paris, reproduite ensuite, indique ceci : "Les membres des groupes de choc du FLN surpris en flagrant crime devront être abattus sur place par les forces de l’ordre." Il était donc indiqué de ne pas faire de prisonniers. Ces éléments, la torture et les disparitions forcées étaient bien connues dans les colonies et en France. Des ouvrages interdits montrent ces dispositions, notamment de Paulette Péju : "Ratonnades à Paris", précédé de "Les Harkis à Paris". Ces livres ont été publiés mais saisis sans aucun procès. Ces ouvrages montrent avec précision que ces massacres et autres sanctions étaient pratiquées pendant la colonisation, dans les colonies et la métropole. Les témoignages de ces livres ont été notés en métropole lors de la Vème République. Ainsi les massacres d’Octobre 1961 ne sont pas reconnus en 2011 par les plus hautes autorités de l’État. Il serait temps que cela soit fait lors du 50ème anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie. Jacques Chirac a pourtant récemment reconnu les crimes du régime de Vichy.